EN TRAVAILLANT LA TERRE
Le vieux est là
Muet comme une souche
Il attend que le nuage passe
Ses outils sont comme des promesses
Un supplément de force
Malgré les années
Chaque muscle est à sa place
Pour faucher, bêcher, ratisser
Je regarde ma main
Pas un pli
La finesse des doigts qui ne trompe pas
Elle n’a donc servi à rien
Le vieux ne me le dit pas
Trop brave
Sa poigne montre l’exemple
Mes pas deviennent les siens
Je suis vite à la traîne
Sans un mot
Le voilà qui porte deux fois plus que moi
J’ai vu la ville de près
Ses fulgurances
Ses éclats mystiques
Ses passions au rabais
Rastignac du pauvre
J’ai croisé le fer avec elle
Ne blessant que moi-même
Le vieux n’a rien vu lui
Aucune lutte
Une simple ligne d’horizon
Des remparts de forêts sous un ciel vide
Il ne goûtera jamais à l’ennui qui élève
Aux délices de la foule
Son champ sera sa seule ivresse
Compagne sans reproche
Et pourtant lui en a palpé de la terre
Sué pour la rendre fertile
Son nom restera une empreinte
Que laisserai-je dans le bitume ?
Des projets froissés
Des rêves léthargiques…
Au loin je vois des tours
Les murs se rapprochent
Que restera-t-il du vieux
Quand même les arbres alentour seront maigres comme mes dix doigts ?
TIGANESTI
La campagne éteinte
La pluie claque
Souffrent les arbres tordus et suppliants
Dans une diagonale ridicule
Dernier sursaut de dignité
S’arrachent de leurs lits pour prendre leur envol
Les animaux aux regards fous
S’exilent vers des déserts hypothétiques
Seule la terre exulte
Elle avale goulument
Une soif impossible à étancher
Au point que la Garla d’habitude plutôt calme et marron clair
Déborde d’agitation et devient couleur de pierre
Refluent à sa surface
Des cadavres de vélos rouillés
Des jouets déréglés
Les seules silhouettes perdues dans le lointain
Plongent dans la brume jusqu’à la taille
Commérages des feux de cheminée
Les fenêtres sont comme des écrans opaques
Ombres gesticulant d’une pièce à l’autre
Buées de soufre et de misère
Ce sont les verres qui claquent à présent
Un tintement continu
Parfois, des voix encore humaines remontent vers le ciel
Et rencontrent l’écho du tonnerre
Les bancs en bois devant les portails sont vides
Leurs pieds sont rongés jusqu’à la moelle
Les mauvaises herbes s’y installent
Se liquéfient les traces de pas
Les chiens errants boivent leurs empreintes
La forêt dévêtue dévisage impuissante
La vie se calfeutrer
Les rires se murer dans l’hiver
LE PIQUET
Apprendre oui
D'une bouche cruelle
Non merci
Ma tignasse était bien trop rebelle
Mon stylo dérapait
De la leçon
Il n'en avait que faire
Il préférait délirer
Sur la petite Audrey
Ou la Vanessa
Au choix
La Michelet s'en rendit compte
Au piquet et que ça saute
Le front collé à la peinture
Les mains noircies derrière le dos
Mes chefs-d’œuvre confisqués
Les camarades hilares
Audrey et ses yeux secs
La nuque définitive de Vanessa
Les bourrasques de la mère Michelet
Une heure, deux heures, trois parfois
À compter les fissures
Quand soudain
Un rayon s’égarait
Réchauffait mon coin d’ombre
Comblait les blancs
Des gâteries d'un autre monde
Celui d'avant les lundis
Où les dimanches s'étiraient à l'infini
Les cerises en cascade
L'indigestion obligée
Les tentes dressées au milieu du jardin
Ma couche sous les étoiles aux côtés des copains
Nos flèches en pierre dans les carreaux du voisin
La Michelet tira aussi sec le rideau
Fin de mes jeux interdits
Retour au mercredi
Au mur fraichement repeint
Aux rires bêtes
Pleurant sur la lumière
Qui continuera sa route
Et moi je serai là
Captif
Lorgnant du coin de l'œil
La mappemonde pour école buissonnière