une cocotte de bines au four
250 degrés fahrenheit
7 heures
en haut
le voisin de deux ans et demi, infatigable, échappe en boucle une bille qui fait trois bonds
poc poc poc
ici
la laveuse à linge brasse des vêtements à côté du frigo
en haut
le voisin botté galope aller-retour le corridor
ici
tu laves la vaisselle à la main, bruit de chaudron et d’ustensiles qui se percutent sous l’eau
en haut
la voisine parle fort, son enfant crie
ici
tu sors la balayeuse après trois jours à faire des remarques à propos de la poussière
ce mélange de bruits
seul le timbre continue de la balayeuse arrive à me le faire oublier
silence nouveau genre
il agit comme une sourdine sur la vie qui nous entoure
je savoure presque cet instant de brouhaha
l’odeur qui se dégage du four
tes déplacements dans la pièce
la ventilation au-dessus de la cuisinière
la laveuse qui essore maintenant les vêtements
ça fait des mois que je n’ai plus de patience pour notre appartement
et ces battements au-dessus de nous
je me sens faiblir en dessous de ce qu’est la vie
des pas d’enfants, des cris, des rires
que du beau qui entre par effraction
je les trouve intrusifs
je me trouve capricieuse
même la musique n’arrive pas à enterrer les vibrations du plafond
des secousses sur les murs
tous les cadres sursautent en synchronicité avec moi
je suis un cadre
aujourd’hui
on décroche tout de sur les murs
on met en boîte des objets
livres
sculptures
jeux
pinceaux
revues
souvenirs en tout genre
on emboîte les dix dernières années de nos vies
en quelques heures
dans quelques boîtes
les tiroirs se creusent de l’intérieur
ça rend jalouses les milliers de boîtes qui s’emplissent
ça me fait angoisser
toutes ces babioles
je les conserve pour éviter de prendre des décisions
ça embrouille mon bonheur
j’empile tout ça comme des promesses
à remettre à plus tard
comment ralentir le réveil des objets?
le four pousse sa chaleur aux bines
qui, collées les unes contre les autres, s’amollissent dans un jus sucré
pendant que dehors
la chaleur stimule goutte à goutte la fonte
ces mêmes rayons
tranquillement
brûlent mon air grincheux
j’ai 4 ans et demi
et je ne veux pas partager mon jouet
je garde tous ces bidules inutiles
sans comprendre qu’avec eux
je bouge moins naturellement
chacun de ces objets est sous ma responsabilité
silencieux
sur mes épaules
chacun d’eux existe
et me rappelle que je ne suis plus
une enfant