Recommandations littéraires

La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski

Avez-vous déjà ressenti un malaise pendant la lecture d’une œuvre littéraire ? Un sentiment d’angoisse et de dérangement persistant en tournant les pages d’un livre ? C’est exactement ce qui vous attend lors de la lecture de La Maison des feuilles : une impression d’étrangeté, d’incompréhension et d’inconfort inexplicable. 

Il me serait difficile de vous faire une présentation à la hauteur de cette œuvre d'envergure. Son auteur, Danielewski, a pris douze ans pour écrire ce roman et sa dévotion impose le respect. La Maison des feuilles est une histoire très particulière, car elle regroupe en réalité plusieurs niveaux de narrations qui s'entrecroisent et se mélangent. Tout commence lorsque Johnny Errand reçoit un soir un coup de fil d'un ami, qui lui demande de le rejoindre afin de visiter l'appartement d'un homme récemment décédé, un certain Zampano. Dans l'appartement, Johnny découvre un imposant manuscrit rédigé par le vieil homme. Il s'agit en fait d'une étude académique portant sur un film : The Navidson Record. Il y a cependant un problème : Zampano était aveugle et le film dont il est question dans ses travaux est introuvable.

Vous suivez toujours ? Ce n'est pas fini.

The Navidson Record est en fait un documentaire créé par Will Navidson, un photographe de renommée mondiale, qui souhaitait filmer l'arrivée de sa famille dans leur nouvelle maison. Mais rapidement, quelque chose cloche. Will et sa femme se rendent compte que l'intérieur de la demeure est plus grand de quelques pouces que son extérieur. Comment est-ce possible ? Au fur et à mesure de leurs découvertes, la maison se transforme en labyrinthe : des couloirs apparaissent et disparaissent, des escaliers de plusieurs kilomètres et des pièces si hautes qu'on n'en voit plus la fin se forment.

C'est ça La Maison des feuilles. Un livre qui parle d'un labyrinthe, à la fois physique et mental, et dont la forme prend elle aussi une apparence labyrinthique, afin de perdre le lecteur de la même manière que ses personnages.

Ce n’est pas un roman pour tous. La Maison des feuilles est un livre qui demande un investissement maximal afin de ne pas s’égarer dans le labyrinthe que sa lecture représente. Il est en effet aisé de se perdre dans les différents niveaux de narrations et dans la mise en page chaotique, puis de se décourager durant la lecture. Néanmoins, cet effort est récompensé par la découverte d’une histoire à la fois bouleversante, dérangeante et absolument prenante, dont la révélation représente une expérience de lecture unique. 


Danielewski Z., Mark. La Maison des feuilles. Lonrai, Éditions Denoël, 2002, 717 pages.

Note d’appréciation : 8.5 / 10

 

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Créatures du hasard de Lula Carballo

Créatures du hasard est le premier roman de l’autrice québéco-uruguayenne Lula Carballo. Ce livre, qui est un hommage à sa grand-mère, a été publié au Cheval d’août en 2018. Le récit est formé des souvenirs d’enfance de la narratrice, évoluant dans un univers féminin où se confondent négligence, dépendance et amour. Effectivement, sa grand-mère est excentrique et manipulatrice, tandis que sa mère est égoïste et protectrice. Au milieu de cette instabilité, l’enfant tente de s’évader de cette existence brutale. En effet, la narratrice grandit dans la pauvreté, entourée de déchets, en plus de souffrir de la négligence parentale héréditaire; la jeune est laissée à elle-même, ce qui la force à vieillir rapidement, puisque les membres de sa famille fuient la réalité. Ces personnages ignorent leurs responsabilités et s’évadent : la mère abuse de médicaments, alors que la grand-mère préfère fêter. La narratrice, quant à elle, trouve plaisir dans la douleur, qui lui permet de ressentir quelque chose. Elle aime aussi se déguiser, ce qui lui donne l’impression d’être quelqu’un d’autre et de fuir sa propre vie. De surcroît, les trois personnages féminins possèdent en commun un moyen d’évasion davantage puissant : les jeux de hasard. La dépendance à la loterie, transmise elle aussi de mères en filles, leur permet, momentanément, d’oublier leurs vies malheureuses. 

Le jeune âge de la narratrice transparaît dans la narration, formée de phrases courtes créées à l’aide d’une langue simple qui dépeint avec justesse le regard pur de l’enfant. Sa réalité difficile est décrite sans qu’un jugement ne soit apparent. De plus, la structure même de l’œuvre rejoint le thème de l’enfance, puisque les courts paragraphes relatant différentes anecdotes sont comme pigés au hasard, sortis d’une boîte à souvenirs. Ceux-ci, décousus, retracent une chronologie floue qui rappelle l’âge tendre de la narratrice. Aussi, le choix de la narratrice-enfant permet d’apercevoir le monde sous un angle nouveau. Cette réalité de l’enfance est habilement construite, à l’aide de symbolisme et de réalisme bien mesurés. 

CARBALLO, Lula. Créatures du hasard, Montréal, Le Cheval d’août, 2018, 144 p.

Note d’appréciation : 9/10


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