Le garçon allongé sur son lit
N’espère plus la fuite
Il rêve de son corps
Il rêve de ses pieds
Qui ne foulent plus que le sol de l’hôpital
Il rêve de son ventre qui ne se tend plus de désir
Il rêve de son sexe amolli entre ses jambes
Il rêve de sa bouche désertée
Il rêve de ses mains flasques
Posées sur la peau douce de ses joues
Il rêve de ses jambes qui ne le portent presque plus
Il rêve de son dos douloureux sur le matelas dur
Il rêve de se lever
D’exploser d’une vie qui le fuit
Il fabrique des mondes horrifiques
Des animaux extraordinaires
Mais il reste là
Enfermé dans des rêves qui ne sont plus que des bribes
De son corps éclaté d’être enfermé
Et puis il y a des instants de grâce
Des moments de douceur qui se boivent à la paille
Le carré de terre où quelques marguerites
Luttent bravement
Contre les mégots et les crachats
L’arbre étrange
Tordu comme nous tous ici
Dont le feuillage abrite les larmes
Ou les éclats de rire fous
La jolie infirmière
Qui ressent la pesanteur de mon enfermement
Et m’offre un monde bigarré
Lors d’une promenade dans le parc
Le guitariste muet
Qui massacre joyeusement des accords absurdes
Ses doigts longs s’accrochent aux cordes
Comme s’il y jouait sa vie
Une pluie soudaine, violente
Le beau garçon me prend la main
Et nous voilà partis pour une sarabande enfantine
Joyeuse, joueuse
Trempés jusqu’à l’âme nous hurlons de rire
Il n’y a pas que de la laideur à l’hôpital
Il y a trois amours
Qui viennent tous les jours me voir
Et je guette leurs minois adorables
À travers les barreaux de ma cage
Je partage ma chambre
Avec trois jeunes vieilles filles
Qui ont oublié
La jouissance de vivre
Nous distillons notre souffrance
Comme une gnôle raffinée
C’est à celle qui souffrira le plus
On distingue la douleur de Katia
À la trace profonde sur son poignet
Un bracelet de mort qu’elle voudrait cacher
Mais tout hurle en elle : je ne veux plus
Elle se tait
Ses beaux yeux parlent
D’une vie qui s’échappe
Il y a aussi Marlene
Les commissures de ses lèvres forment des virgules
À l’envers
Elle n’a pas souri depuis l’apparition des premiers films comiques
Il y a bien sûr Katarina
La jeune vieille moustachue qui me pique mes clopes
Qui laisse sa merde sécher dans les chiottes
Et qui pleure parce qu’elle est tellement malade
Que les psychologues ne trouvent pas assez de qualificatifs
Pour la décrire
Il y a moi
Je me couche souvent en position fœtale
Et je rêve de cet ailleurs qui m’attend – un jour j’abandonnerai mes collègues de souffrance
Hubert le bossu
Joue avec ses excréments
Il façonne des personnages
Qui lui ressemblent
Un gros corps
Une petite tête
Et cette bosse de conte horrifique
Hubert le bossu est un entomologiste passionné
Il attrape délicatement l’insecte
L’examine sous toutes ses coutures
Et le croque comme un cornichon
Hubert le bossu se promène souvent nu comme un ver
Il danse dans la lumière dorée du matin
Son minuscule pénis se balance au rythme de ses pas
Hubert le bossu est un artiste paysager
Il crée des montagnes et des plaines
Avec du fromage fondu
Sur les vitres de la cour
Hubert le bossu me fatigue
Et m’attendrit
Je touche sa bosse
Pour avoir enfin un peu de bonheur